mercredi 26 mai 2010

Mythologie et culture pop

Le dernier épisode de Lost aurait été déjà téléchargé 900 000 fois sur les réseaux P2P, en l'espace de 20 h. Selon Torrentfreak, ce chiffre augmentera de quatre à cinq millions  d'ici à la fin de la semaine seulement, ce qui pourrait ensuite le  conduire au-delà des six millions. On est en tout cas bien au-delà de la  moyenne enregistrée habituellement, de 1,5 million de téléchargement  par opus...

A part ça, voici une analyse super intéressante sur Excessif.com (par Victor Lopez, 26 mai 2010) :

Mythologie et culture pop


A Hurley, qui, comme beaucoup de personnages de Lost, va sincèrement nous manquer.

Irrité par les questions  sur son père, Miles arrache des mains d'Hurley le mystérieux carnet dans  lequel le sympathique geek semble cacher ses secrets les plus  personnels. Celui-ci explique alors : « J'écris L'Empire  contre-attaque. On est en 1977. Star  Wars vient de sortir. Bientôt, Lucas voudra faire une  suite. J'ai vu le film 200 fois. Je me suis dit que je pouvais lui  faciliter les choses en lui envoyant le scénario... avec quelques  améliorations ». Sous ce clin d'œil amusant se cache peut-être une  des clefs de Lost,  dont le projet est finalement assez proche de la tentative d'Hurley :  réécrire en six saisons une histoire du fantastique en en revisitant ses  thèmes et classiques... avec quelques améliorations.


De Retour vers le futur à Airport,  de Lewis Carrol à Green Lantern, tout y passe. Ce  fourmillement de références qui éclairent les parcours des personnages,  tout en étant parfaitement intégré à la narration, transforme la série  en un condensé boulimique de la culture geek, sorte de génial digest,  qui a pour but de faire partager à un public, le plus large possible,  les joies d'univers décalés.

Une mythologie télévisuelle.

A première vue, le pitch  de Lost pourrait faire penser à un croisement sophistiqué  entre Survivor, l'émission de télé réalité U.S. qui a inspiré  notre Koh-Lanta, et L'île des naufragés, une sitcom  au titre évocateur produite par ABC dans les années 60. Mais  lorsque que le projet échoue sur le bureau de J.J. Abrams, le roi des geek,  et Damon Lindelof, l'autre tête pensante de Bad Robot, les  deux hommes y voient aussitôt un moyen de rendre hommage à une culture  télévisuelle plus personnelle. En fans de La Quatrième dimension,  ils se focalisent sur les mystères de l'île plutôt que sur les parties  de pêche, et optent pour une structure en Flashback dont chaque  récit éclaire le passé des personnages en se terminant sur un  retournement de situation très proche de la technique narrative qui  animait la série des années 60. Il est même possible de placer le texte  du générique de Rod Sterling en ouverture de Lost sans avoir à y  changer un mot tant son sens colle parfaitement à l'atmosphère de l'île  mystérieuse : « Il existe une dimension au-delà de ce qui est connu  de l'Homme (...) elle est à la croisée de l'ombre et de la lumière, de  la science et de la superstition, elle est le point de rencontre des  ténèbres crées par les peurs ancestrales de l'Homme et de la lumière de  son savoir...».  

L'autre grande série fantastique des années 60 qui  irrigue Lost  est Le  Prisonnier. On y retrouve un même lieu unique et  inquiétant, allégorie de notre monde où évoluent des personnages qui  n'arrivent pas à y échapper. Les débats lancés sur la signification de  l'île et de Lost rappellent d'ailleurs fortement ceux  provoqués par les visions de Patrick McGohan. Et quand, au début de la  saison 3, on découvre le village Dharma, il est impossible de ne pas  penser à celui du Prisonnier, avec Benjamin Linus dans  le rôle du numéro 2, obéissant aux ordres du mystérieux et alors  invisible numéro 1 : Jacob.

Cette relecture des classiques permet  de lancer des pistes érudites tout en s'en appropriant la mythologie  dans un fascinant exercice de décalquage postmoderne. Mais Lost pousse  le  jeu du clin d'œil référentiel encore plus loin en inventant une  série dans la série : Exposé, parodie de Drôle  de dames dont une malheureuse actrice se trouve à bord du  vol Oceanic 815. Lost recycle, mais crée aussi ses  propres références. Dans la série, on écoute Drive Shaft ou Geronimo  Jackson un verre de l'excellent Whisky McCutcheon à la main. Par ce  mélange de références réelles et fictives, Lost arrive à  consolider un univers cohérent et ludique, faisant le bonheur du  spéctateur attentif qui croit alors d'autant plus au monde décrit.

L'héritage culturel passé au filtre geek

Loin de se  limiter à la télévision, les inspirations de Lost  puisent aussi abondement dans la littérature. Parcourir les titres des  épisodes donne même l'impression de consulter la bibliothèque de leurs   auteurs : A tale of two city (Dickens), Catch 22  (Joseph Heller), The Shape of things to come (H.G. Wells), Trough  the looking glass (Lewis Carroll)... Ces références s'inscrivent  dans une généalogie fantastique érudite mais toujours accessible, à  l'image de celles à Lewis Carroll. Dès les premières images du pilote,  le labrador de Walt apparait à Jack, étendu dans la jungle après le  crash de son avion, comme le lapin blanc d'Alice au pays des  merveilles. On pourrait énumérer ad vitam les références à  l'écrivain (du personnage de Kate, qui, après Sydney Bristow d'Alias  et avant Olivia Dunham de Fringe,  apparait comme l'héroïne carrollienne revisitée par J.J. Abrams, au nom  de la station « The Looking glass ») mais l'important est  l'appropriation de la thématique de l'ouvrage : la traversée du miroir  (le crash d'avion) métaphorise au pays des merveilles (sur l'île) les  événements qui se produisent dans le « monde réel ».

On lit beaucoup dans Lost, et pas  seulement Alice, que Jack ne manque pas de faire découvrir à  Aaron. Prisonnier des rescapés, Benjamin Linus arrive à manipuler Locke  en partant d'un débat sur Hemingway et Dostoïevski, soulignant que le  premier reste dans l'ombre du génie du second, comme notre aventurier  chauve dans celle du leader Jack. Voilà une utilisation  originale du savoir acquis au club de lecture des « Autres », dont une  réunion nous est même montrée. Celle-ci éclaire différemment encore les  conceptions artistiques des scénaristes. Juliette y a choisit Carrie  de Stephen King, critiqué par un grincheux qui clame que « ce  n'est même pas de la littérature, c'est du pop-corn car il n'y a pas de  métaphores ». Or justement, le propre de la littérature fantastique,  c'est son caractère métaphorique. Cet attachement à la littérature  populaire, couplé à des références classiques, indique un net refus de  hiérarchisation culturelle.

Lost se réfère autant aux comics (l'ours  polaire sort des pages d'un Green Lantern que Walt récupère  des bagages d'Hurley alors que des scénaristes comme Jeph Loeb ou Brian  K. Vaughan viennent prêter mains forte à l'équipe d'auteurs) qu'à des  écrits analytiques (le name droping philosophique, convoquant  les auteurs de théories du contrat social comme John Locke et Rousseau).  Et ces deux pôles ont autant d'importance aux yeux des créateurs de la  série, puisqu'ils sont avant tout un réceptacle permettant l'éveil de  l'imagination du spectateur.

En un mot : l'émotion


Impossible  enfin de ne pas évoquer les emprunts au septième art tant les  références au cinéma de Lucas, Spielberg ou Zemeckis reviennent à chaque  épisode. Un autre cinéaste des années 70, à la présence plus discrète  dans Lost, constitue peut-être une clef cachée de la  série : Francis Ford Coppola. Cité à deux reprises (Sawyer ne manque pas  d'appeler Locke Colonel Kurtz en référence au personnage de Marlon  Brando dans Apocalypse Now alors que le temple des  Autres de la saison 6 fait écho à celui du même film), les films de  Coppola sont traversés par les même préoccupations que Lost :  la famille, la seconde chance et les voyages dans le temps. Recoupant  ces deux dernières, le méconnu Peggy Sue s'est mariée  envoie une femme divorcée 25 ans en arrière, et la fait retomber  amoureuse de son mari. Véritable matrice des magnifiques épisodes de  Desmond, le film montre la voie à Lost, en utilisant  les thématiques fantastiques et l'audace conceptuelle comme un moyen de  placer l'émotion en son centre.



Car même quand Hurley parle de Star Wars  à Miles, c'est pour lui donner un conseil très humain : parler à son  père. « C'était aussi l'attitude de Luke. Il apprend dans L'Empire  que Darth Vador est son père, mais au lieu de ranger les  sabres lasers et d'en parler, il s'énerve et se fait couper la main. Ils  ont fini par régler ça, mais à quel prix ? Une étoile de la mort  détruite, Bobba Fett mangé par le Sarlacc, et on s'est tapé les Ewoks...  Tout ça aurait pu être évité s'ils avaient simplement communiqué ! Et  soyons francs, les Ewoks étaient nazes, Dude ! ».
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Et ci-dessous, un petit article du Point, qui déplore la fin de deux séries, 24 et Lost, qui auront marqué une décennie télévisuelle. Une page se tourne...

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