dimanche 20 juin 2010

Un dernier hommage à Lost


Source : LeTemps.ch

Par Nicolas Dufour


La série fantastique, qui s’achève ce samedi 19 juin sur TSR1, aura  collé à son époque tout en y résistant. Dernier salut à une œuvre  laboratoire, qui aura chamboulé la fiction TV.


«La crainte du danger est mille fois plus terrifiante que le  danger présent»: Daniel Defoe l’écrivait dans Robinson Crusoé,  lointain fondement de Lost. Le raisonnement peut  s’appliquer aux amateurs du feuilleton populaire le plus déroutant de la  décennie. Ce samedi soir, TSR1 achève sa diffusion, au terme de six  saisons. De toute évidence, les craintes et les espoirs des fidèles se  révéleront mille fois plus terrifiants que ce final réel.
On  entendra de la déception, des discussions enflammées entre experts,  voire des ricanements. La tonalité mystico-ésotérique, présente depuis  le début, mais qui s’accroît depuis la cinquième saison et semble  culminer dans le dernier chapitre, a certes poussé à des répliques  baroques, voire risibles – exemple avec Hurley, épisode 6X5: «Si ça se  trouve, ces squelettes, c’est nous.»


Mais comment ne pas applaudir  une dernière fois? Et s’il devait y avoir frustration, balayera-t-on  d’un revers de main ces six étés de télé? Certainement pas. Car ces  années auront changé la fiction TV. J’ai souvent plaidé ici pour cette  série, arguant qu’elle a atteint le cœur du principe du feuilleton. Par  son foisonnement narratif, sa pagaille même, sa manière d’ajouter des  couches à ce qui semblait déjà complexe, l’odyssée des naufragés de  l’Oceanic 815, et des autres, a propulsé le rendez-vous télévisuel à un  autre niveau. A une autre dimension.

Si Lost a  suscité de  telles cogitations chez ses aficionados, c’est parce qu’elle a  instauré, restauré plutôt, un  rôle classique pour ses auteurs. Démiurges et vendeurs de salades à  la fois. Bateleurs assurant de leur contrôle absolu sur leur histoire,  aguichant les badauds. Mais aussi manipulateurs de génie, sourds aux  demandes ou aux suggestions de leurs paroissiens. A l’heure du Web 2.0,  le feuilleton aura enflammé Facebook ou Twitter, tout en restant en  marge, cloisonné dans son univers.

Pourtant, la modernité  expérimentale de la narration  aura collé à son époque. Lost, ce furent 121 épisodes  d’écriture hypertexte. Une fable  conjecturale, labyrinthique, peut-être sans morale. Une toile  tissée dans chaque épisode, jusqu’au souffle noir du logo «Lost»  précédant le générique. Une allégorie de masse, investissant tous les  canaux à partir du téléviseur. Conçue en phase avec son temps de réseaux  et de complots. Y compris dans l’habileté marketing, les indices  disséminés sur Internet, la pléthore de bonus en DVD… Et ce, au-delà de  la diffusion: l’édition intégrale, prévue pour la fin de l’année,  comporterait ainsi un épilogue inédit. Evidemment…

Si la messe n’est pas pleinement dite, faudra-t-il s’en plaindre? A  sa manière, parfois d’une stimulante naïveté, Lost a abordé  des thématiques d’une permanence absolue, la mort, la famille, la  reconstruction d’une société après l’hécatombe, l’identité et le temps…
On  ne règle pas ces questions-là. On n’achève pas Lost.
Et  pour les amateurs, de toute manière, c’est certain: chacun, à notre  manière, nous retournerons sur l’île.

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