Source : LeTemps.ch
Par Nicolas Dufour
La série fantastique, qui s’achève ce samedi 19 juin sur TSR1, aura collé à son époque tout en y résistant. Dernier salut à une œuvre laboratoire, qui aura chamboulé la fiction TV.
«La crainte du danger est mille fois plus terrifiante que le danger présent»: Daniel Defoe l’écrivait dans Robinson Crusoé, lointain fondement de Lost. Le raisonnement peut s’appliquer aux amateurs du feuilleton populaire le plus déroutant de la décennie. Ce samedi soir, TSR1 achève sa diffusion, au terme de six saisons. De toute évidence, les craintes et les espoirs des fidèles se révéleront mille fois plus terrifiants que ce final réel.
On entendra de la déception, des discussions enflammées entre experts, voire des ricanements. La tonalité mystico-ésotérique, présente depuis le début, mais qui s’accroît depuis la cinquième saison et semble culminer dans le dernier chapitre, a certes poussé à des répliques baroques, voire risibles – exemple avec Hurley, épisode 6X5: «Si ça se trouve, ces squelettes, c’est nous.»
Mais comment ne pas applaudir une dernière fois? Et s’il devait y avoir frustration, balayera-t-on d’un revers de main ces six étés de télé? Certainement pas. Car ces années auront changé la fiction TV. J’ai souvent plaidé ici pour cette série, arguant qu’elle a atteint le cœur du principe du feuilleton. Par son foisonnement narratif, sa pagaille même, sa manière d’ajouter des couches à ce qui semblait déjà complexe, l’odyssée des naufragés de l’Oceanic 815, et des autres, a propulsé le rendez-vous télévisuel à un autre niveau. A une autre dimension.
Si Lost a suscité de telles cogitations chez ses aficionados, c’est parce qu’elle a instauré, restauré plutôt, un rôle classique pour ses auteurs. Démiurges et vendeurs de salades à la fois. Bateleurs assurant de leur contrôle absolu sur leur histoire, aguichant les badauds. Mais aussi manipulateurs de génie, sourds aux demandes ou aux suggestions de leurs paroissiens. A l’heure du Web 2.0, le feuilleton aura enflammé Facebook ou Twitter, tout en restant en marge, cloisonné dans son univers.
Pourtant, la modernité expérimentale de la narration aura collé à son époque. Lost, ce furent 121 épisodes d’écriture hypertexte. Une fable conjecturale, labyrinthique, peut-être sans morale. Une toile tissée dans chaque épisode, jusqu’au souffle noir du logo «Lost» précédant le générique. Une allégorie de masse, investissant tous les canaux à partir du téléviseur. Conçue en phase avec son temps de réseaux et de complots. Y compris dans l’habileté marketing, les indices disséminés sur Internet, la pléthore de bonus en DVD… Et ce, au-delà de la diffusion: l’édition intégrale, prévue pour la fin de l’année, comporterait ainsi un épilogue inédit. Evidemment…
Si la messe n’est pas pleinement dite, faudra-t-il s’en plaindre? A sa manière, parfois d’une stimulante naïveté, Lost a abordé des thématiques d’une permanence absolue, la mort, la famille, la reconstruction d’une société après l’hécatombe, l’identité et le temps…
On ne règle pas ces questions-là. On n’achève pas Lost.
Et pour les amateurs, de toute manière, c’est certain: chacun, à notre manière, nous retournerons sur l’île.
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