A part ça, voici une analyse super intéressante sur Excessif.com (par Victor Lopez, 26 mai 2010) :
Mythologie et culture pop
A Hurley, qui, comme beaucoup de personnages de Lost, va sincèrement nous manquer.
Irrité par les questions sur son père, Miles arrache des mains d'Hurley le mystérieux carnet dans lequel le sympathique geek semble cacher ses secrets les plus personnels. Celui-ci explique alors : « J'écris L'Empire contre-attaque. On est en 1977. Star Wars vient de sortir. Bientôt, Lucas voudra faire une suite. J'ai vu le film 200 fois. Je me suis dit que je pouvais lui faciliter les choses en lui envoyant le scénario... avec quelques améliorations ». Sous ce clin d'œil amusant se cache peut-être une des clefs de Lost, dont le projet est finalement assez proche de la tentative d'Hurley : réécrire en six saisons une histoire du fantastique en en revisitant ses thèmes et classiques... avec quelques améliorations.
De Retour vers le futur à Airport, de Lewis Carrol à Green Lantern, tout y passe. Ce fourmillement de références qui éclairent les parcours des personnages, tout en étant parfaitement intégré à la narration, transforme la série en un condensé boulimique de la culture geek, sorte de génial digest, qui a pour but de faire partager à un public, le plus large possible, les joies d'univers décalés.
Une mythologie télévisuelle.
A première vue, le pitch de Lost pourrait faire penser à un croisement sophistiqué entre Survivor, l'émission de télé réalité U.S. qui a inspiré notre Koh-Lanta, et L'île des naufragés, une sitcom au titre évocateur produite par ABC dans les années 60. Mais lorsque que le projet échoue sur le bureau de J.J. Abrams, le roi des geek, et Damon Lindelof, l'autre tête pensante de Bad Robot, les deux hommes y voient aussitôt un moyen de rendre hommage à une culture télévisuelle plus personnelle. En fans de La Quatrième dimension, ils se focalisent sur les mystères de l'île plutôt que sur les parties de pêche, et optent pour une structure en Flashback dont chaque récit éclaire le passé des personnages en se terminant sur un retournement de situation très proche de la technique narrative qui animait la série des années 60. Il est même possible de placer le texte du générique de Rod Sterling en ouverture de Lost sans avoir à y changer un mot tant son sens colle parfaitement à l'atmosphère de l'île mystérieuse : « Il existe une dimension au-delà de ce qui est connu de l'Homme (...) elle est à la croisée de l'ombre et de la lumière, de la science et de la superstition, elle est le point de rencontre des ténèbres crées par les peurs ancestrales de l'Homme et de la lumière de son savoir...».
L'autre grande série fantastique des années 60 qui irrigue Lost est Le Prisonnier. On y retrouve un même lieu unique et inquiétant, allégorie de notre monde où évoluent des personnages qui n'arrivent pas à y échapper. Les débats lancés sur la signification de l'île et de Lost rappellent d'ailleurs fortement ceux provoqués par les visions de Patrick McGohan. Et quand, au début de la saison 3, on découvre le village Dharma, il est impossible de ne pas penser à celui du Prisonnier, avec Benjamin Linus dans le rôle du numéro 2, obéissant aux ordres du mystérieux et alors invisible numéro 1 : Jacob.
Cette relecture des classiques permet de lancer des pistes érudites tout en s'en appropriant la mythologie dans un fascinant exercice de décalquage postmoderne. Mais Lost pousse le jeu du clin d'œil référentiel encore plus loin en inventant une série dans la série : Exposé, parodie de Drôle de dames dont une malheureuse actrice se trouve à bord du vol Oceanic 815. Lost recycle, mais crée aussi ses propres références. Dans la série, on écoute Drive Shaft ou Geronimo Jackson un verre de l'excellent Whisky McCutcheon à la main. Par ce mélange de références réelles et fictives, Lost arrive à consolider un univers cohérent et ludique, faisant le bonheur du spéctateur attentif qui croit alors d'autant plus au monde décrit.
L'héritage culturel passé au filtre geek
Loin de se limiter à la télévision, les inspirations de Lost puisent aussi abondement dans la littérature. Parcourir les titres des épisodes donne même l'impression de consulter la bibliothèque de leurs auteurs : A tale of two city (Dickens), Catch 22 (Joseph Heller), The Shape of things to come (H.G. Wells), Trough the looking glass (Lewis Carroll)... Ces références s'inscrivent dans une généalogie fantastique érudite mais toujours accessible, à l'image de celles à Lewis Carroll. Dès les premières images du pilote, le labrador de Walt apparait à Jack, étendu dans la jungle après le crash de son avion, comme le lapin blanc d'Alice au pays des merveilles. On pourrait énumérer ad vitam les références à l'écrivain (du personnage de Kate, qui, après Sydney Bristow d'Alias et avant Olivia Dunham de Fringe, apparait comme l'héroïne carrollienne revisitée par J.J. Abrams, au nom de la station « The Looking glass ») mais l'important est l'appropriation de la thématique de l'ouvrage : la traversée du miroir (le crash d'avion) métaphorise au pays des merveilles (sur l'île) les événements qui se produisent dans le « monde réel ».
On lit beaucoup dans Lost, et pas seulement Alice, que Jack ne manque pas de faire découvrir à Aaron. Prisonnier des rescapés, Benjamin Linus arrive à manipuler Locke en partant d'un débat sur Hemingway et Dostoïevski, soulignant que le premier reste dans l'ombre du génie du second, comme notre aventurier chauve dans celle du leader Jack. Voilà une utilisation originale du savoir acquis au club de lecture des « Autres », dont une réunion nous est même montrée. Celle-ci éclaire différemment encore les conceptions artistiques des scénaristes. Juliette y a choisit Carrie de Stephen King, critiqué par un grincheux qui clame que « ce n'est même pas de la littérature, c'est du pop-corn car il n'y a pas de métaphores ». Or justement, le propre de la littérature fantastique, c'est son caractère métaphorique. Cet attachement à la littérature populaire, couplé à des références classiques, indique un net refus de hiérarchisation culturelle.
Lost se réfère autant aux comics (l'ours polaire sort des pages d'un Green Lantern que Walt récupère des bagages d'Hurley alors que des scénaristes comme Jeph Loeb ou Brian K. Vaughan viennent prêter mains forte à l'équipe d'auteurs) qu'à des écrits analytiques (le name droping philosophique, convoquant les auteurs de théories du contrat social comme John Locke et Rousseau). Et ces deux pôles ont autant d'importance aux yeux des créateurs de la série, puisqu'ils sont avant tout un réceptacle permettant l'éveil de l'imagination du spectateur.
En un mot : l'émotion
Impossible enfin de ne pas évoquer les emprunts au septième art tant les références au cinéma de Lucas, Spielberg ou Zemeckis reviennent à chaque épisode. Un autre cinéaste des années 70, à la présence plus discrète dans Lost, constitue peut-être une clef cachée de la série : Francis Ford Coppola. Cité à deux reprises (Sawyer ne manque pas d'appeler Locke Colonel Kurtz en référence au personnage de Marlon Brando dans Apocalypse Now alors que le temple des Autres de la saison 6 fait écho à celui du même film), les films de Coppola sont traversés par les même préoccupations que Lost : la famille, la seconde chance et les voyages dans le temps. Recoupant ces deux dernières, le méconnu Peggy Sue s'est mariée envoie une femme divorcée 25 ans en arrière, et la fait retomber amoureuse de son mari. Véritable matrice des magnifiques épisodes de Desmond, le film montre la voie à Lost, en utilisant les thématiques fantastiques et l'audace conceptuelle comme un moyen de placer l'émotion en son centre.
Car même quand Hurley parle de Star Wars à Miles, c'est pour lui donner un conseil très humain : parler à son père. « C'était aussi l'attitude de Luke. Il apprend dans L'Empire que Darth Vador est son père, mais au lieu de ranger les sabres lasers et d'en parler, il s'énerve et se fait couper la main. Ils ont fini par régler ça, mais à quel prix ? Une étoile de la mort détruite, Bobba Fett mangé par le Sarlacc, et on s'est tapé les Ewoks... Tout ça aurait pu être évité s'ils avaient simplement communiqué ! Et soyons francs, les Ewoks étaient nazes, Dude ! ».
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Et ci-dessous, un petit article du Point, qui déplore la fin de deux séries, 24 et Lost, qui auront marqué une décennie télévisuelle. Une page se tourne...
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